Un cœur habité de mille voix
« je vais te dire la vérité, Louise, je m’ennuie des miennes, de vous, les filles, c’est dur, des pieds, des jambes qui font mal, des yeux qui voient tout en double, bien que j’entende parfaitement la grande musique des voix, chaque jour, me disant, suis-je déjà au paradis, est-ce que l’on y reçoit avec élégance et bonté les personnes trans, sinon renvoyez-moi sur terre »
À Propos
93 ans, René se sent soudain devenu un vieux monsieur. Confiné dans son appartement montréalais, il est réconforté par les soins empressés d’Olga, son infirmière qui multiplie les maladresses par rapport à son identité de genre.
Louise, son amie de toujours, l’aide à s’habiller pour la grande fête qui doit à nouveau réunir les « filles de la bande » – les comédiennes Doudouline et la Grande Sophie, sa mère, Polydor, et l’éternelle Gérard – comme au temps où René était pianiste dans les cabarets. En attendant ces retrouvailles, Louise évoque pour René les amours du passé, les drames et les luttes menées contre l’intolérance.
Délaissant les personnages qui peuplent l’immense fresque de sa série Soifs, Marie-Claire Blais reprend dans Un cœur habité de mille voix les personnages de deux précédents romans, Les Nuits de l’Underground (1978) et L’Ange de la solitude (1989), pour nous faire revivre les grands moments de militantisme pour les droits des personnes homosexuelles qui ont marqué le siècle dernier, des émeutes de Stonewall jusqu’à nos jours. « Cette nuit-là, nous avons appris à nous défendre contre les coups, ce fut le jour d’une révolution mémorable, pensait René. » À travers ce dernier roman publié de son vivant, Marie-Claire Blais nous fait découvrir une galerie de personnages inoubliables dans leur complexe et bouleversante humanité, tout en faisant le révoltant portrait de l’homophobie de l’époque. René qui fut déclaré femme tout en se sachant homme n’a jamais cessé de devoir se battre pour exister en tant que personne trans. L’identité de genre et les existences queer sont des thèmes chers à Marie-Claire Blais, au moins depuis Les Nuits de l’Underground (1978), ramenés au centre de son œuvre après les politiques et les sorties homophobes et transphobes de l’ex-président Donald Trump en 2017.
Primée maintes fois et dans plusieurs pays, Marie-Claire Blais est l’une des grandes autrices de langue française. Lancée par Une belle bête en 1959, son œuvre – qui comprend près de trente romans – prend une envergure internationale avec la parution d’Une saison dans la vie d’Emmanuel, récipiendaire du Prix Médicis en 1966. Son écriture, hantée par les pulsions sexuelles et la violence, cherche par l’élévation de la pensée à rendre compte de l’insondable complexité du monde et de la vie humaine. Avec le roman Soifs, publié en 1995, elle entreprend un vaste cycle de douze romans sur l’Amérique au tournant du XXIe siècle, que clôt Augustino et le chœur de la destruction, roman inachevé paru de manière posthume en 2022.
Née à Québec le 5 octobre 1939, Marie-Claire Blais a vécu un bon nombre d’années à Key West en Floride avant de nous quitter le 30 novembre 2021.
Pour donner vie à ces personnages, Stéphanie Jasmin et Denis Marleau ont confié l’adaptation de ce roman de Marie-Claire Blais à Kevin Lambert, auteur originaire du Saguenay, dont les deux premiers romans, Tu aimeras ce que tu as tué (finaliste du prix Médicis et prix Découverte du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean) et Querelle de Roberval (prix Sade, sélection des prix Wepler et Médicis), ont connu un succès éclatant qui a largement dépassé nos frontières. Son plus récent roman, Que notre joie demeure, retenu dans la première sélection du prix Goncourt, est d’ailleurs un hommage à Marie-Claire Blais, dont les livres ont changé sa vie et son regard sur l’écriture.
Diffusions
- 2 au 28 avril 2024
Espace GO, Montréal
Crédits
Texte : Marie-Claire Blais
Adaptation : Kevin Lambert
Mise en scène : Denis Marleau et Stéphanie Jasmin
Avec : Elisabeth Chouvalidzé, Pascale Drevillon, Nadine Jean, Louise Laprade, Sylvie Léonard, Jean Marchand et Christiane Pasquier
Assistance à la mise en scène : Carol-Anne Bourgon Sicard
Scénographie et vidéo : Stéphanie Jasmin
Éclairage : Marc Parent
Musique : Alexander MacSween
Costumes : Ginette Noiseux
Accessoires : Marie-Ève Fortier
Maquillages coiffures : Jacques-Lee Pelletier
Design sonore : François Thibault
Conseil littéraire : Maxime Poirier Lemelin
Direction technique : Étienne Boucher-Cazabon
Direction de production UBU : Martin Émond